La retouche photographique est un éternel questionnement. Doit-on l’admettre, la haïr, la vénérer ? Ma démarche photographique, ainsi que mes lectures m’ont amenées à m’interroger sur la question. Je vais essayer d’apporter un éclairage personnel sur cette question.
Wikipedia nous enseigne que la retouche se définit par « tout procédé qui consiste à modifier une image ». Cette définition est donc très vaste.
Les moyens photographiques ont considérablement évolués au cours des deux dernière décennies, avec l’arrivé du numérique. Mais la retouche d’image est bien plus ancienne. L’argentique offrait également son lot de manipulations. Ces manipulations étaient moins ouvertes au grand public, qui ne disposait souvent pas des outils et des compétences nécessaires.
1- Les retouches en argentique
De nombreuse images célèbres et historiques sont le fruit de bidouillage. Je vous renvoie à un excellent article illustré de lens.fr qui montre des exemples marquants : disparitions de personnages sur certaines photos, composition entre plusieurs images…
Pour des raisons politiques, le roi Georges V n’apparait plus au côtés du premier ministre canadien. Ce genre de retouches nécessite son petit lot de magouilles, et une bonne connaissance technique.
Des retouches, plus sobres, étaient continuellement appliquées. La photo, prise sur une pellicule, doit être développée puis tirée pour apparaitre sur un papier. Ces deux étapes, obligatoires, offrent leurs lots de retouches. Le développement consiste en la transformation d’une pellicule, très sensible à la lumière, en un négatif insensible à la lumière. Cette opération est irréversible, et se réalise en chambre noire. Le choix des produits chimiques, des temps passés par la pellicule dans les différents bains, le coup de main de l’opérateur feront varier le résultat final. Une même pellicule, si elle pouvait être développée deux fois, ne donnerait pas le même négatif. Il s’agit déjà au sens strict du terme d’une retouche.
Une fois ce développement fait, il faut transformer le négatif en papier. Cette étape, appelée le tirage, peut être réalisée autant de fois que nécessaire. La encore, le papier utilisé, les produits, le matériel, le temps d’exposition, etc. aura un impact sur le rendu final. C’est encore une retouche. Un masquage peut souvent être appliqué à ce moment. Il consiste à révéler certaines portions de l’image plus que les autres. C’est une nouvelle fois une retouche. Je vous invite maintenant à admirer ce genre de procédés sur un article rédigés par vivrelaphoto. Sur la photo suivante, de nombreuses ont été modifiées.
La retouche était omniprésente en argentique. Elle était même obligatoire, puisque le développement et le tirage constituent par eux-même des modifications de l’image originelle par des procédés propres. Elle pouvait être plus ou moins poussée, mais était omniprésente.
2- Les retouches en numérique
Le numérique a permis de mettre à la portée du plus grand nombre la photographie, et surtout toute la chaine qui en découle depuis la prise de vue jusqu’à l’image imprimée sur papier. Le champ des possibles en retouche s’est également démultiplié.
Les appareils photos numériques proposent selon les modèles plusieurs formats pour l’enregistrement des images. Les compacts les plus simples ne proposent que le format jpeg. L’image est prise, et transformée et convertie par le processeur de l’appareil dans ce format jpeg qui présente l’énorme avantage de réduire le poids de la photo. C’est l’appareil qui décide de la façon de convertir. Le photographe assiste l’appareil (couleur, N&B, sépia, …) et ce dernier réalise une retouche selon un algorithme qui est propre à chaque modèle. Il en résulte pour le photographe une image en jpeg. Deux écrans différents, ou même juste réglés différemment donnerons deux rendus différents de l’image. L’impression sur papier du fichier numérique sera encore différent entre deux matériels non calibrés. Ce sont encore des modifications de l’image, qui sont des retouches, mais imposées par l’appareil. Volontaire ou subi, cela constitue une retouche.
Les appareils photo dans les gammes supérieures, comme les réflex numériques, proposent de s’affranchir de ce traitement imposé par l’appareil photo, et de redonner ce choix au photographe. Chaque marque enregistre alors le fichiers dans un format spécifique, brut de fonderie, sans le convertir en jpeg. Le terme générique est le fichier au format raw. Libre ensuite au photographie d’effectuer la conversion qu’il souhaite sur son ordinateur. Cette phase est souvent comparée par analogie avec l’argentique au développement. Le photographe développe son raw selon son envie. C’est encore une fois une retouche.
Puis, de façon logicielle, le photographe peut retoucher à sa guise la photo qu’il a prise, la composer avec d’autres clichés. Comme on le faisait en argentique, et même au delà.
Enfin, pour publier une photo sur internet, il convient bien souvent de la redimensionner pour qu’elle s’affiche en plein écran. Le photographe peut choisir de la signer. Ce sont encore des exemples de retouches.
A titre d’exemple, je vous propose la version publiée sur le site de ma dernière photo du viaduc de Millau, suivie de la version jpeg (convertie par l’appareil photo, redimensionnée et signée par mes soins, je n’ose donc pas l’appeler « sans retouches » même si l’idée est bien celle-là).
3- Conclusion
Nous venons de voir que la retouche est omniprésente dans le monde de la photographie depuis des décennies, parfois même une étape inévitable. Personne n’y échappe, de manière volontaire ou non.
Si l’on s’intéresse à la technique, la question n’est donc pas de savoir si une photo a été retouchée, mais plutôt quel type de retouche lui a été appliqué. Ces retouches sont-elles sommaires ou importantes ? Est-ce la composition de plusieurs photo, ou bien le travail d’un unique cliché ? Autant de questions que l’on est en droit de se poser, mais qui ne relèvent que de la démarche du photographe, de la technique.
Au delà de ces considérations pratiques, la photographie est une image. Son auteur souhaite faire passer un message. Pour y arriver, il peut travailler sa prise de vue, soigner ses décors et sa mise en scène à la manière par exemple de Marielsa Niels. Il peut encore travailler ses images en post-production, sur son ordinateur. Assembler plusieurs photos pour en faire un panoramique à la façon d’Arnaud Frich. Ou encore prendre des éléments de plusieurs photographies pour ne produire qu’une image réaliste ou surréaliste.
Peu importe. Il en résulte la production d’une (ou plusieurs) image(s). Cette image est-elle aboutie ? La prise de vue et le post-traiement permettent-ils de bien faire passer un message ? Ces questions sont essentielles.
A titre personnel, et c’est ma philosophie, je travaille au maximum mes décors, mon cadrage, et les réglages de mon appareil photo avant de déclencher. Je ne renie cependant pas la retouche qui est une étape que je considère comme obligatoire, essentielle. Et je préfère avoir la main sur la transformation de ma photo, plutôt que de laisser les automatisme de mon appareil le faire à ma place. D’autant plus que ce n’est pas neutre, et que deux appareils de deux modèles distincts, même réglés à l’identique, ne produiraient pas le même résultat final. Je reste maitre du rendu que je veux montrer, et que je partage publiquement sur mon site. Le simple fait d’apposer ma signature sur une photo constitue en soit une retouche. Mais je vais au-delà. Je m’approprie mon fichier pour lui donner la tournure que je veux. Mes retouches sont inspirées de ce qui était réalisé en argentique, au développement et au tirage. Et il m’arrive d’aller au delà, et de profiter pleinement des moyens modernes existants.
Dernier point, pour mes photos que je qualifie de souvenirs, qui sont personnelles, familiales, et que je ne publie pas sur internet, je ne poursuis pas le même but. Je me laisse volontairement manipuler par mon appareil, je confie aux automatismes la retouche et la conversion en format jpeg. Mais ce n’est plus la même approche d’un même outil, plus le même but. Donc plus la même démarche.
A chaque démarche son lot de modification volontaire ou involontaire de l’image. Et au spectateur de se laisser transporter, d’apprécier, d’aimer ou non l’image finale produite.